Le protestantisme a mal à son image

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Le protestantisme a mal à son image

4 mars 2005
Où va le protestantisme ? Des réformés français posent un diagnostic sévère du déclin des protestants « traditionnels », disciples de Luther et Calvin, face à la montée des mouvements évangéliques et charismatiques
Ils esquissent quelques pistes pour que l’esprit de la Réforme garde sa pertinence, sa force de libération et réponde véritablement aux attentes d’une société individualiste et désenchantée, travaillée par une inquiétude spirituelle diffuse mais bien réelle. Livre : »Où va le protestantisme ?

Pour un protestantisme de liberté plutôt que de certitude

Dites « protestantisme », beaucoup pensent immédiatement « fondamentalisme ». Les télévangélistes américains et Georges W. Bush sont passés par là. Le terme de « protestant » n’est plus de nos jours automatiquement synonyme de tolérance, d’ouverture d’esprit, d’initiative individuelle et d’engagement dans la société pour combattre les injustices, mais renvoie le plus souvent aux mouvements fondamentalistes américains. Or l’intolérance religieuse américaine hérisse le poil sur le Vieux Continent. Un sale coup pour l’image du protestantisme et pour les disciples « traditionnels » de Luther et de Calvin, qui ont accompagné la modernité et favorisé son accomplissement, au point, estime le sociologue Jean Baubérot, co-auteur du livre « Où va le protestantisme », « de s’y fondre et de réduire parfois leur religion à une culture privée de sa théologie ».

« Les expressions religieuses du christianisme semblent avoir été absorbées par la société et réduites à l’état de simple culture », constate le théologien protestant français Alain Houziaux dans ce petit fascicule, qui est en fait la transcription de la confrontation des idées des cinq personnalités invitées à plancher sur l’avenir du protestantisme lors d’une conférence tenue à Paris l’année passée.

Les protestants « classiques » - ils sont 400 millions dans le monde - ont privilégié une méthode d’approche de la foi fondée sur le libre examen, le sens critique et l’indépendance d’esprit, aux antipodes du prêt à penser et de la méthode Coué, rappelle d’emblée l’un des intervenants. Et le conférencier de s’interroger : Vont-ils être supplantés par les mouvements évangéliques et pentecôtistes ? - actuellement ils sont 200 millions dans le monde - , qui, eux, misent avec succès sur la conversion personnelle, une lecture littérale de la Bible, la primauté de l’émotion sur la raison et une apparente absence de critique du libéralisme économique sauvage qui fait rage actuellement ?Protestantisme de liberté plutôt que de certitude Le pasteur Alain Houziaux est convaincu que le protestantisme traditionnel doit continuer à témoigner de la prédication de Jésus Christ et de sa radicalité iconoclaste, qui incitent à l’engagement dans la société pour combattre les inégalités et les injustices. « A côté du catholicisme et du protestantisme de conversion qui, chacun à leur manière, sont des religions d’autorité et de certitudes, le protestantisme doit pouvoir témoigner que, même à l’intérieur du champ religieux, il y a place pour l’enquête, la liberté, et pourquoi pas la protestation ». A son sens, le protestantisme devrait réagir en radicalisant sa propre spécificité «libérale », au sens théologique du terme, et même « libertaire ». Odon Vallet rappelle la spécificité de protestation léguée par les premiers protestants, qui ont refusé d’admettre un décret contraire à Dieu et à la Sainte Parole et ont protesté pour leur foi et contre ce qu’ils estimaient l’arbitraire. Il souligne la nécessité de témoigner « pour » et « contre », donc d’exercer sa liberté contre le principe d’autorité, de réformer sans aller jusqu’à révolutionner le dogme et l’ordre social. Un témoignage qui, selon le pasteur Jean-Arnold de Clermont, président de la Fédération protestante de France ne doit pas se contenter de rester dans la dénonciation, fût-elle prophétique, mais doit pousser à « agir en force de proposition et d’engagement solidaires ». Dans l’esprit de l’orateur, il doit inciter notamment les Eglises protestantes à se mobiliser contre toutes les formes de discrimination et de disparités sociales, et à réfléchir aux questions relatives à l’intégration et aux migrations.

Les auteurs n’oublient pas la question de la transmission, absolument vitale dans une société obsédée par l’instant et en grand danger d’amnésie. Avec lucidité les auteurs de l’ouvrage posent un certain nombre de questions auxquelles toute communauté réformée doit s’atteler pour y apporter des réponses concrètes et nouvelles. La survie du protestantisme « classique » en dépend. « Il ne suffit pas d’aménager, il faut déménager », rappelle dans un autre ouvrage qui aborde lui, plzus largement l’avenir du christianisme, « Guetter l’aurore », l’historien catholique Jean Delumeau dans son dernier livre « Guetter l’aurore, un christianisme pour demain ». Autrement dit, il devient nécessaire d’habiter autrement un monde devenu profondément différent.UtileOù va le protestantisme ? Jean Baubérot, Jean-Arnold de Clermont, Philippe Joutard et Odon Vallet,, les Editions de l’Atelier, janvier 2005.