En Syrie, l’héritage fertile du pèrePaolo Dall’Oglio
Les derniers spectateurs s’entassent pour apercevoir les sept musiciens. Au piano, Tala Katbeh joue, accompagnée de la mélodie du violon et de l’oud, avant de se mettre à chanter. Sa performance lui vaut d’être acclamée parles autres étudiants de la Maison Alberto Hurtado SJ. «C’est un bonheur de se rassembler ici. On se sent comme à la maison alors que l’on est tellement jugés aujourd’hui en Syrie», souffle la musicienne en acceptant un bouquet de fleurs. Les Syriens venus assister au concert sont issus de toutes les communautés, et de tous les milieux.
Dans ce centre tenu par des jésuites au coeur de Jaramana, ville pauvre et populaire de la banlieue de Damas, quelque 75 étudiants ont organisé au mois de juin un festival célébrant la fin du semestre.
Tala Katbeh participe à ces ateliers depuis trois ans. «Si seulement la Syrie avait plus de lieux comme celui-ci… Ils aident à maintenir la paix. J’ai changé d’avis sur certains sujets après avoir rencontré ici des gens différents de moi», assure la jeune femme druze – une minorité religieuse qui représente environ 3 % de la population.
A quelques pas, le père Daniel, responsable des activités de la «Beit Alberto», sourit. «Notre objectif premier est le développement personnel de nos jeunes.
Mais nous avons beaucoup de mixité et l’art est un langage commun, donc ces activités favorisent l’intercommunautarisme», se réjouit-il
Jaramana a accueilli durant la guerre civile de nombreux déplacés. De 800 000 en 2011, sa population est passée à 2,5 millions – soit environ 10 % de la population syrienne. En mai dernier, des affrontements y ont éclaté entre factions armées sunnites et druzes sur fond de vengeance et de conflit foncier, la population druze ayant été la cible d’exactions. «On a senti la peur chez nos jeunes, alors on les a réunis pour parler de ces affrontements, raconte le père Daniel. On voulait leur expliquer que l’actualité touchait tout le monde, pas seulement les Druzes, et qu’il existe un vécu commun.»
Disciples du père Paolo
Dans cette maison où se lient les destins,beaucoup ont entendu parler du père Paolo Dall’Oglio. Ce prêtre italien,fervent défenseur du dialogue interreligieux en Syrie, a fondé la communauté oecuménique de Mar Moussa en 1992.
En raison de son opposition au régime politique, le président d’alors, Bacharel-Assad, a interdit l’hommage en mémoire du religieux après sa disparition en 2013, ce qui a provoqué l’effritement de son héritage. Ses disciples restent néanmoins nombreux. «Beaucoup de personnes sont touchées par ses idées, par cette vocation d’amitié entre les musulmans et les chrétiens», témoigne le père Jihad Youssef, supérieur du monastère de Mar Moussa. Il cite notamment Hind Kabawat, ministre syrienne des Affaires sociales. Les membres de la communauté fondée par le père Paolo restent les principaux porteurs de son message. «Notre vie monastique et notre vocation sont le fruit du travail du Seigneur dans la vie de Paolo. Pour nous, il n’est pas mort, il est toujours parmi nous», pointe le père Jihad Youssef. Alors que la Syrie se trouve à un tournant de son histoire depuis la chute du régime en décembre dernier, la communauté espère jouer un rôle dans la transition politique et l’unité du pays. «Le projet des autorités est ambigu. Nous devons soutenir le gouvernement, tout en le critiquant pour le faire avancer dans la bonne direction», martèle le religieux au calme imperturbable.
Repères
Le père Paolo a été enlevé le 27 juillet 2013 à Raqqa par l’État islamique, qui contrôlait alors cette ville du nord-est de la Syrie. Il s’était rendu dans cette zone échappant au contrôle du régime pour demander la libération de journalistes otages du groupe djihadiste. Douze ans plus tard, le mystère demeure sur sa disparition.





