Naissance d’une foi individuelle qui pousse à agir pour la société
Votre ouvrage présente le Réveil comme un fruit du romantisme: une réaction au rationalisme pur des Lumières…
Le Réveil de Genève apparaît comme une rencontre féconde entre deux courants majeurs du protestantisme moderne : le piétisme, porteur d’un christianisme du cœur, marqué par la piété individuelle et la recherche d’une foi authentique, et l’élan romantique, réaction culturelle contre le rationalisme hérité des Lumières. A cette sensibilité religieuse renouvelée s’ajoute, dans le cas genevois, une relecture substantielle de l’héritage réformé. Le Réveil ne se contente pas de réchauffer les cœurs: il réaffirme des fondements doctrinaux majeurs du calvinisme, au premier rang desquels la justification par la foi seule. Ce retour aux sources, à la fois doctrinal et existentiel, confère au Réveil genevois une tonalité unique dans le paysage spirituel du XIXe siècle. La foi n’est pas une habitude, mais un acte vivant de Dieu. Il nous interpelle face à toute forme de routine ou de tiédeur.
Des mouvements de Réveil touchaient toute l’Europe. Qu’est-ce que celui de Genève a de particulier?
Bien qu’inscrit dans le courant plus large du Réveil protestant européen, le mouvement genevois se distingue par une dynamique propre, enracinée dans la singularité culturelle et ecclésiale de la cité de Calvin. Ce Réveil ne s’impose pas de l’extérieur: il émerge du terreau local, nourri à la fois par une exigence théologique profonde et par une conscience aiguë de la sécheresse spirituelle ambiante. Il ne s’agit pas d’une simple ferveur émotionnelle, mais d’une résurgence structurée, qui conjugue élévation du cœur et rigueur de la pensée. Ce qui fait sa force, c’est cette capacité à intégrer l’élan intérieur dans un cadre doctrinal solide. L’un des traits marquants du Réveil de Genève réside dans l’engagement profond et déterminant de nombreux laïcs. Loin de se cantonner à une élite pastorale ou ecclésiale, le mouvement se répand par hommes et des femmes de tout type de métiers – médecins, enseignants, imprimeurs – dont plusieurs, possèdent une solide formation théologique. Leur zèle ne se limite pas à une piété personnelle: il se traduit par une action concrète, structurée et souvent missionnaire.
Une forme d’individualisme de la foi… Mais alors, comment gérait-on les divergences?
En réalité, il faudrait dire «les Réveils de Genève» puisque eux-mêmes, lorsqu’ils posent un regard plusieurs années après sur les événements du passé, disent qu’il y a eu au moins un premier et un second Réveil, donc deux phases. Et au sein même de ces phases, il y avait des tendances différentes. Il n’y a pas eu un mouvement homogène, mais des traits qui se dégagent.
Quelles valeurs a-t-on héritées de ces mouvements?
Le protestantisme du Réveil se caractérise par son aspiration à une foi entière, qui ne sépare ni l’intelligence ni l’émotion, ni la doctrine ni l’expérience vécue. Il refuse l’assèchement rationaliste. On peut aussi souligner la présence féminine dans le Réveil de Genève, à la fois discrète et essentielle. Si elles n’occupent pas les postes de visibilité dans l’Eglise institutionnelle, les femmes jouent un rôle central dans la transmission de la foi, l’éducation chrétienne et l’éveil spirituel au sein des foyers. Leur action s’étend aussi aux œuvres sociales.
Quelles sont les sources qui ont alimenté vos recherches?
Dans les bibliothèques et archives de Genève et de Lausanne, on trouve de nombreux procès-verbaux, textes de prédications, lettres échangées et autres documents. Il existe donc un large matériel qui doit être exploité.
La recherche
«Les recherches à ce sujet sont encore lacunaires.» C’est par ces mots que se termine l’entrée «Réveil» du Dictionnaire historique de la Suisse.
Avec Le Réveil de Genève. Perspectives internationales, cette lacune est en partie comblée. Cet ouvrage collectif sous la direction de Jean Decorvet, Tim Grass et Kenneth J. Stewart est un véritable pavé: 592 pages! Il a été publié en français et en anglais (Editions HET-Pro, 2024, pour la version française).