Eric Vartzbed, Un chemin «de l’absurde à la grâce»

©Sophie Brasey
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©Sophie Brasey

Eric Vartzbed, Un chemin «de l’absurde à la grâce»

Auteur
Motard passionné de Grands Prix, séduit par Nietzsche puis philo bouddhiste sceptique, le psychothérapeute touché par Maurice Zundel explore les fondements de sa foi chrétienne.

En 2009, on avait découvert dans Le Bouddhisme au risque de la psychanalyse la pensée stimulante de ce penseur agnostique. On le retrouve cette année enraciné dans une foi chrétienne critique mais ardente: il publie La Logique inconsciente de l’expérience religieuse (L’Harmattan). Accueil chaleureux, parole aisée et limpide, l’essayiste raconte une enfance heureuse avec son frère aîné entre des parents arméniens d’Egypte, père mécanicien venu travailler chez Bobst en 1958, mère enseignante d’anglais. Après le collège, passionné de compétition moto, «un déchaînement pulsionnel et un rêve romantique de chevalerie», le jeune Eric fait un apprentissage de mécanicien. Il se voit ingénieur travaillant sur les Grands Prix. Jusqu’à ce que sa chérie, gymnasienne, lui ouvre un monde différent: l’art, la philosophie, la littérature et… Nietzsche! Elle est la fille d’un hérault de l’art brut, qui va fortement influencer le jeune homme. C’est la première d’une série de fréquentations intellectuelles qui réorienteront sa vie à plusieurs reprises. Les rencontres déterminantes sont un de ses leitmotivs.

Bousculé par l’Evangile
Voici Eric Vartzbed, 19 ans, déterminé,volontaire, qui abandonne la mécanique et se fait bibliothécaire à temps partiel pour suivre le gymnase du soir. Bachelier, il choisit sur le fil, entre sciences dures et molles, la psychologie. En partie pour se guérir de son grand chagrin d’amour, en partie pour «tirer les choses au clair… Versant affectif et versant intellectuel. Besoin de savoir, de comprendre ce qu’est l’humain; besoin d’exprimer, de transmettre. 
J’étais davantage détective que samaritain». Plus tard, il ne se cantonnera donc pas à sa pratique en cabinet privé et en institution; il enseignera – et écrira. Après le décès de son père et neuf ans d’incubation, il publie Lumière d’outre-tombe. Puis le livre qui le fait connaître, Le Bouddhisme au risque de la psychanalyse. Dialogue-confrontation avec l’altérité de la pensée indienne d’un agnostique intrigué et séduit par le bouddhisme. Blagueur, il se dit alors «adepte de la religion sceptique». 
Seize ans plus tard, grand changement, Eric Vartzbed déclare sa foi et sa flamme. L’enfant élevé dans une religion orthodoxe peu contraignante – son père priait chaque jour en arménien mais ne fut pas choqué qu’il préfère le sport au cours de religion – est «rentré à la maison». Non pas celle d’une confession et d’un dogme, mais la maison du Christ revisitée par Augustin. «En lisant l’Evangile et Maurice Zundel, à 45 ans, j’ai été commotionné, bouleversé.» Plus précisément: il voit émerger en lui «une foi ardente dans le Dieu intérieur et trinitaire» du christianisme. 
Une foi que le psychologue définit, avec Bernanos, comme «cette vie intérieure par laquelle tout homme […] peut prendre contact avec le divin, c’est-à-dire avec l’amour universel, dont la création tout entière n’est que le jaillissement inépuisable». Une énergie qui circule entre les trois pôles (Père, Fils, Saint-Esprit), l’important étant la relation, l’échange:  une forme de don. Un Dieu qui nous invite à être des co-créateurs. «Une tout autre ontologie que celle du Dieu lointain et monolithique du judaïsme ou de l’islam par exemple.» Et une charge contre le matérialiste athée d’Onfray ou de Comte-Sponville: «Il ne tue pas, mais il empêche de naître.» En 2017, Eric Vartzbed rédige un livre sur les chrétiens gnostiques (publié en 2022). Il est séduit par leur conception de l’immortalité exclusivement spirituelle, la relation directe avec le Très-Haut et leur réponse «recevable» à la question du Mal. Il cerne aujourd’hui «la logique inconsciente de l’expérience religieuse». En six brefs essais traitant du djihad, des cornes de Moïse, de l’essence de la croyance, de la philosophie de Roland Jaccard(1941-2021), autre rencontre décisive de sa vie, et un drolatique dialogue entre celui-ci et saint Pierre, il chemine jusqu’à une conclusion inspirée de Nietzsche… évoquant un retour à la foi chrétienne

La religion des religions
Si sa quête ramène le sceptique «à la maison» et le persuade que le christianisme est «la religion des religions» (voir l’encadré), c’est non seulement qu’il a rencontré la pensée de l’abbé Zundel (1897-1975),mais aussi, événement décisif, qu’il est devenu proche aidant de sa mère. Il a ainsi expérimenté dans son vécu la réalité fondamentale: «Les liens affectifs, de parole,de tendresse sont ce qui porte et pulse les vies.» À nouveau, la communication et le don. Et toujours la rencontre, «qui réoriente la vie»

Citation
«Le christianisme est la religion des religions, car il divinise le principe salutaire qui agit (à leur insu) dans toutes les autres religions: l’amour. Par exemple, celui qui se voue au bouddhisme en connaîtra toutes sortes de bienfaits, mais c’est parce qu’il aime le bouddhisme et ses maîtres; et c’est encore le souffle chrétien qui est ici à l’oeuvre. Ainsi, vous serez bouddhiste, juif ou musulman si vous aimez le non-attachement, la loi ou la soumission. Bref, le christianisme est peut-être la religion des religions, car il dénude le coeur vivant qui palpite au fond de toutes les autres.»

Bio express
1972 Naissance à Lausanne.
1991 CFC de mécanicien.
1994 Maturité fédérale.
1996 Décès de son père, qui lui inspirera Lumière d’outre-tombe (PUF 2005).
2002 Doctorat en psychologie.
2011 Comment Woody Allen peut changer votre vie (Seuil).
2017 Mariage avec Katia Léglise.
2020 Enracinement dans la foi chrétienne.